Episode 3
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Les Anciens de Taïba

 

1960 à 1970...

 

Tout récemment et sous la plume de Monsieur RODOZ, cette décade difficile pour laquelle il nous livre son vécu en tant que  directeur à Taïba.

 

   Après l'historique de la découverte du gisement de phosphate de TAIBA et de la création de la société d'exploitation, il faut savoir que cette aventure industrielle a été mise en danger à plusieurs reprises et que l’évolution de ses dix premières années mérite d'être relatée.

 

   Une simulation d'exploitation avec usine pilote de traitement avait montré qu'après avoir enlevé le recouvrement sablonneux, le minerai pouvait être facilement extrait, puis élimination des produits > 8 mm réalisée, être envoyé par transport hydraulique vers  un  ensemble :  «  préparation » «  flottation » «  séchage » pour obtenir un phosphate sec ( 2% H2O max.) avec une granulométrie comprise entre 40 et 800 microns et une teneur 82/84 % BPL. Soit un des meilleurs produits commercialisés au monde à l'époque !

Le projet  qui a suivi l’essai pilote était prévu pour 500 000 tonnes par an de phosphate sec.

 

   Dès la mise en route de l'exploitation en 1960 il est apparu que les sondages destructifs n'avaient pas permis de constater que la couche de phosphate contenait de gros silex, parfois cimentés entre  eux, et que de ce fait la machine prévue pour extraire le minerai (dragline7W) n'était pas capable de le faire.

Il a donc été nécessaire d'utiliser partiellement la machine prévue pour enlever le recouvrement sablonneux (dragline1250B) pour extraire également le minerai. Celui-ci étant repris ensuite par la 7W pour alimenter le ponton flottant destiné, après avoir mis le minerai en pulpe, à éliminer les produits supérieurs à 8 mm( rejetés sur place) pour permettre son transport hydraulique vers l'usine de traitement.

Cette surprise, bien que désagréable, n'était cependant pas de nature à remettre en cause le projet industriel. Il suffisait d'ajouter une dragline de taille adaptée pour renforcer  la capacité de décapage pour régler cette affaire.

 

   Malheureusement, sans tenir compte de l’avis de la direction technique, ni consulter l’exploitation qui avait déjà démontré que la laverie, normalement alimentée en minerai brut, pouvait produire plus de 2500 tonnes par 24 heures de phosphate marchand sec,  le Conseil d’ Administration décidait d’augmenter la capacité de stockage à l’entrée de l’usine au lieu de régler le vrai problème qui se trouvait à la mine.

Bien entendu, ce nouvel investissement, parfaitement inutile, non seulement ne réglait rien mais en plus augmentait la dette (et donc les frais financiers) et mettait  ainsi la compagnie en mauvaise position financière.

Comme par ailleurs il n'existait aucun contrôle du coût de la production, à l'exclusion de la comptabilité générale, tenue secrète par le responsable de l'administration, il était clair qu'avec une telle organisation on ne pouvait aller que dans le mur ! 

   En ce qui me concernait, ayant eu la chance d'être formé pendant dix ans dans une société minière et métallurgique parfaitement organisée, j'ai particulièrement mal vécu les années 1961 et 1962 en voyant arriver le désastre sans pouvoir faire changer quoi que ce soit de la part de la direction locale.

On avait affaire à une société mixte, le BRGM ayant 32 % du capital, qui n'avait aucune expérience de l'industrie minière. D’autre part non seulement les prévisions de production ne pouvaient être atteintes mais le commercial n'arrivait pas à vendre le peu de tonnage produit, les actionnaires clients potentiels préférant s'alimenter ailleurs.

Sans l’intervention d’un financier : M. JACQUES DE FOUCHIER, devenu en 1969 Président de la banque de Paris et des Pays-Bas, la compagnie allait droit à la faillite.

 

   C'est ainsi que l'on a vu arriver en fin 1962 une société américaine (IMC) ayant option pour prendre la majorité de TAIBA, avec un nouveau directeur, une équipe de douze ingénieurs américains et deux contrats d'assistance : l’un technique l'autre commercial.

 Et c'est à partir de ce moment-là que la société a pu normalement s'organiser et commencer à progresser. Ainsi, en attendant l'arrivée d'une nouvelle dragline (1150 B), il a été utilisé une méthode de décapage hydraulique, ce qui  a immédiatement permis de faire décoller la production.

Une comptabilité analytique a été mise en place pour contrôler et améliorer le prix de revient de la production. Les résultats obtenus étant analysés et commentés en réunion des responsables dans les dix premiers jours suivants la fin du mois précédent.

Une nouvelle organisation a vu le jour concernant l'entretien du matériel et la gestion des pièces de rechange en magasin.

Une prime semestrielle pour les dirigeants, tenant compte de la production en quantité, qualité,  prix de revient, sans oublier la sécurité dans l'entreprise, le tout fonction du réalisé par rapport aux prévisions annuelles, a été créée et particulièrement appréciée.

 

   La formation concomitante de conducteurs de dragline sénégalais et des conducteurs expatriés vers le poste de contremaître a également permis d'améliorer l'organisation du travail sans en augmenter le coût. Il faut signaler en passant que les conducteurs expatriés ont parfaitement réussi la formation de leurs remplaçants et méritent que cela soit mentionné ! L'engagement de nombreux jeunes sénégalais avec CAP ou BP technique, formés ensuite dans les ateliers, a également permis de réaliser une  « sénégalisation » de bonne qualité de l'effectif en plus des promotions internes après passage dans un organisme de formation créé dans l'entreprise.

 

   En 1964 le premier directeur américain, M. Lavergne, qui parlait parfaitement le français, a été remplacé par M. Skiner qui ne connaissait pas du tout notre langue, ce qui ne facilitait pas sa tâche !

À la suite du règlement rapide d'une grève générale, d'origine pas très limpide, dont j'avais été chargé, il m’a été proposé par M. Jacques de Fouchier, sur proposition des Américains, la direction de la compagnie au Sénégal en novembre 1964.

Étant déjà à l'époque chargé de l'ensemble de la production et connaissant la valeur de l'équipe en place je n'ai pas hésité à accepter cette promotion, intimement persuadé qu'il était possible de sauver TAIBA.

 

   L'année 1965 a vu la production s'améliorer, le prix de revient se réduire et les ventes s'améliorer très nettement grâce au contrat d'assistance commerciale.

 

   Ceci étant, fin novembre la société IMC décidait de ne pas donner suite à son option pour la majorité, consécutivement à de sérieuses difficultés internes, et  l’équipe américaine repartait en Floride.

 À titre anecdotique, au moment de leur départ je leur ai rappelé qu'ils m'avaient appris que l'on ne payait jamais l'échec et qu’ainsi seul le contrat d'assistance commerciale leur était dû. Car en ce qui concerne l’assistance technique, leur départ faisait valeur d'échec. N’étant pas concerné par les problèmes entre actionnaires, je ne sais pas comment cela s’est terminé mais sur les comptes IMC de l'année 1965 qui m'ont été communiqués, j'ai remarqué que le montant de l'assistance technique avait été passé en pertes et profits.

 

   Bien qu'en nette progression par rapport à la situation de 1962, le départ des Américains mettait à nouveau TAIBA en difficulté.

Une  proposition de nationalisation a même été faite par un actionnaire en 1966, mais refusée par le Président Léopold Sédar Senghor et il fallait donc trouver coûte que coûte une vraie solution à ce problème.

 

   Une fois de plus c’est M. JACQUES DE FOUCHIER qui a pris les choses en mains en mettant en place à Paris un nouveau conseil d'administration, présidé par M. Max Robert avec un directeur général adjoint M. Claude Gabriel, tous deux déjà en charge des phosphates du Togo et donc avec une bonne expérience de cette activité minière.

M. JACQUES DE FOUCHIER était en effet persuadé, au vu du très important redressement réalisé en exploitation, que le succès était possible malgré le départ des Américains et qu’il fallait donc aller de l’avant !

 

   L'expérience ayant montré que l'exploitation avec le ponton flottant était à l'origine d'une perte importante du phosphate gisant au moment de son extraction, une étude de méthode d'exploitation à sec a alors été confiée à SOFREMINES ; malheureusement la solution proposée, techniquement peu convaincante, demandait par ailleurs un investissement de 12 milliards de francs CFA qu’aucun organisme n’aurait accepté de financer !

Un projet ébauché par l'exploitation utilisant le transport par camions entre l'extraction et un atelier de préparation à terre pour remplacer le ponton, puis transport hydraulique existant vers l'usine de traitement d'une part, et le renforcement de la capacité de décapage par Roue-pelle, convoyeurs ripables et remblayeur d'autre part, dont le coût avait été estimé à 4 milliards de francs CFA a été finalement retenu par la direction générale après étude détaillée et contrôle du coût estimé.

Cet investissement, décidé en 1968 par le nouveau conseil d'administration sous la présidence de M. Max Robert et supervisé par M. Claude Gabriel a été réalisé en moins de deux ans par l'équipe interne et en respectant l'enveloppe financière annoncée.

 

   Ainsi la nouvelle méthode d'exploitation à sec a démarré le 20 août 1970, sa mise au point a été rapide, car les formations du personnel aux nouvelles techniques avaient été bien préparées.

On a rapidement constaté une augmentation nette de la récupération du phosphate gisant et il devenait raisonnable de penser que TAIBA était sauvé !

GRAND MERCI à M. JACQUES DE  FOUCHIER , grâce à qui, de plus, le financement a pu être trouvé !!!

 

   C'est tout à fait confiant quant à l'avenir, que j'ai quitté TAIBA en décembre 1970 en laissant un stock humide d'environ 800 000 tonnes de phosphate marchand et après avoir atteint grâce à une excellente équipe : expatriés et sénégalais de tous services, un prix de revient total : «  exploitation + frais financiers + amortissements » inférieur au prix de vente,qui était à l’époque de l’ordre de onze dollars US par tonne sèche FOB.

Une augmentation brutale importante du cours mondial des phosphates, après le premier choc pétrolier de 1973, pour atteindre un maximum durant une très courte période (60 dollars par tonne FOB), a permis à TAIBA de rembourser toutes ses dettes et de devenir une bonne affaire pouvant rétribuer normalement ses actionnaires !

 

   Il a été décidé par la suite de créer un ensemble pour produire de l’acide phosphorique et finalement TAIBA a été absorbée par les ICS.

TAIBA n’est plus, mais elle a tout d’abord donné  vie aux ICS !!!

 

   UN GRAND MERCI, pour conclure, à l’exceptionnelle EQUIPE qui a permis que TAIBA surmonte tous les obstacles qu’elle a rencontré sur sa route !!!

Sylvio RODOZ

20 mars 2003

 

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